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Guide «Explorer les droits de l’enfant placé»
La bientraitance

Sur le sujet de la bientraitance, il y a un chapitre dans notre guide «Explorer les droits de l’enfant placé – 30 cartes d’orientation pour la pratique». Nous sommes heureux de vous présenter ici ce chapitre à titre d'exemple de lecture.

La bientraitance, en tant que conception éducative, est théorisée dans les années 1990, et n’apparaît donc pas formellement dans la CDE, ni dans son manuel d’application[1], même si elle était déjà bien ancrée dans la pratique éducative. Elle fait toutefois écho aux nombreuses dispositions de la CDE qui visent à protéger l’enfant contre toute forme de violence, comme les articles 19, et 32 à 39.

Pour tenter d’en cerner le contenu, on peut s’inspirer des axes thématiques choisis par Integras dans le cadre de la définition de sa mission [2]: la notion de «bientraitance» signifie l'instauration, au sein de l’institution, d'un climat stable et motivant, qui favorise l'évolution des enfants, adolescents et jeunes adultes. Elle doit permette de promouvoir et d'entretenir une approche respectueuse, bienveillante et attentive, de garantir un encadrement et un soutien basé sur l'écoute, et d'orienter le travail selon les besoins de l'enfant.

 

guide bientraitance

La recherche de la bientraitance peut se concevoir tant sur le plan individuel (du point de vue du professionnel), qu’institutionnel, au sens des modes de fonctionnement structurels et éducatifs qui façonnent la manière dont la structure d’accueil (ou tout autre service de protection) prend en charge l’enfant dans sa mesure de protection.

Pour le professionnel, et comme le souligne M. L’Houssni « nos manières de poser les problèmes ne sont pas les seules façons de le régler. Plus nous voulons des solutions pour autrui qui ne tiennent pas compte de sa réalité et de son univers familial, plus nous mettons le système en surchauffe pour aboutir à des pannes. Il convient de se garder de notre morale, pour approcher ce qui est important pour les personnes et leur droit de vivre autrement que selon notre norme »[3]. L’auteur illustre son propos par plusieurs situations où il s’est agi de réfléchir autrement au moyen de répondre au mieux aux besoins de l’enfant, selon sa configuration familiale et sociale. Dans l’une d’elles, la réflexion a ainsi « renvoyé à un impensé ou un point d’aveuglement dans notre pratique professionnelle : pourquoi penser que nécessairement les parents puissent vouloir accueillir leurs enfants ? Le couple conjugal dans cette situation passe avant le couple parental»[4].

A l’échelle de l’institution également, il s’agit parfois de sortir du cadre de référence habituel pour imaginer la solution la plus pertinente. Le directeur du Centre pédagogique « Les Billodes » relate par exemple une situation où « l’institution ou la famille ne pouvaient être retenues comme des lieux séparés adaptés aux besoins de l’enfant, alors que la famille et l’institution pourraient se définir comme un lieu de soutien où l’ensemble des partenaires (famille et professionnels) « cohabitent », se complètent, s’entraident ». Il a donc fallu redéfinir « la place, le rôle et l’importance de l’espace d’accueil, ainsi que des personnes concernées ». Cela s’est traduit par le retour des adolescentes dans la famille, et par l’intégration au domicile familial d’une éducatrice. Et le directeur de conclure : « cette réflexion, nous l’avons menée pour prioriser les besoins exprimés de ces deux adolescentes, au détriment d’aspects organisationnels et financiers. Concrétiser la réponse a nécessité des engagements particuliers qui ont bousculé notre quotidien »[5].

La bientraitance doit ainsi être comprise comme une posture, une culture éducative et humaine. Ph. Jayet en décrit le sens comme suit[6] : « Nous pourrions partir de cet a priori qu’un établissement d’accueil pour mineurs par exemple, qu’un travailleur social et tous autres acteurs du champ social sont bientraitants par définition. Parce que prêter secours à l’enfance en danger, carencée, privée de son environnement familial, pauvre et démunie, appelle d’abord à la sollicitude, à la bienveillance, à la bienfaisance et à la reconnaissance. Cela pourrait aller de soi si l’on fait sien le principe que ces personnes en difficulté sont dignes de respect et qu’elles inspirent nécessairement des postures, des manières d’être qui, fondamentalement, prennent en compte ses besoins, ses attentes, ses refus dans la reconnaissance de ses spécificités, et dans l’application de ses droits. Nous serions tentés d’affirmer que la bientraitance, celle qui rend supportable le séjour institutionnel, la séparation d’avec les siens, l’éloignement et la promiscuité, est une valeur indispensable à la mise en œuvre honorable de ces établissements spécialisés sans laquelle il ne se peut de séjour producteur de mieux être et d’avancées. Sans laquelle l’identité même de l’usager est remise en cause. Elle implique dans ces conditions une culture institutionnelle portant haut les couleurs de la bienveillance, de l’écoute, de la considération et de l’empathie. Elle suppose aussi l’exercice de compétences adaptées à la complexité de l’activité, à partir de personnels spécialisés non seulement au bénéfice des équipements intellectuels requis, mais aussi inventifs, ouverts et réceptifs au monde environnant. La bientraitance prend appui nous semble-t-il, sur la conviction qu’il se peut et qu’il se doit des rapports humains construits d’abord sur la reconnaissance de l’altérité en ce qu’elle transcende les limites. Accepter l’autre dans sa grande diversité certes, mais aussi parce qu’il révèle la face cachée de la même pièce.

La bientraitance donc, celle qu’il faut promouvoir et protéger dans les établissements d’accueil, n’est pas uniquement une réflexion à mener, une finalité à atteindre, c’est d’abord et surtout une exigence morale, des contraintes à satisfaire en sorte que les actions trouvent à s’inscrire dans le registre des bonnes pratiques professionnelles auxquelles il serait impératif de souscrire, auxquelles il s’agirait de contribuer. Car, et nous ne sommes pas sans le savoir, le glissement vers des attitudes et comportements maltraitants est d’une certaine manière inscrit dans la proximité de deux concepts antagoniques mais étroitement liés au même environnement. Le bien et le mal trouvent à se côtoyer dans des espaces réduits touchant à la gestion des émotions, à celle des frustrations, à la tentation des répressions, voire à celle des rabaissements et des humiliations.

L’ANESM, en France, évoque la «mémoire du risque» et celui de la maltraitance est souvent sournois. Il sommeille dans l’ensemble des aspects de l’organisation institutionnelle, au dedans comme au dehors, en particulier lorsqu’il est question du poids des ordres institués et leur influence sur l’expression du pouvoir d’agir des individus tous bords confondus, mais en particulier lorsqu’ils sont vulnérables, que leur situation implique dépendances et souffrances. Il s’agit bien évidemment d’y demeurer attentif car s’il s’impose aux acteurs du social qu’ils doivent inscrire leur vigilance dans une démarche d’amélioration continue des pratiques et de la prévention, il s’impose aussi que la bientraitance s’impose d’abord dans l’équilibre entre tensions et contingences continuellement recherchée dans la relation d’accompagnement.

Finalement, il faut ici l’affirmer, la bientraitance ne se décrète pas. Elle suppose l’exigence d’un permanent «effort sur soi» favorisant le meilleur recul possible sur les faits et les événements, de manière à permettre aux acteurs du social à quelque niveau qu’ils se trouvent, des postures cohérentes, en accord avec les valeurs privilégiées et l’exercice de démarches de communication fondées, sans alternative, sur cette réflexion active et productrice de cette solution à haute valeur morale, respectueuse de l’individu dans toute sa complexité ».

Le guide peut être commandé auprès d'Integras ici : publications

Dans ce contexte, l'ouvrage pratique Prisma est également fortement recommandé. Prisma est un outil d’analyse du processus de placement des enfants et adolescents hors du milieu familial.

Vous pouvez le commander ici : publications

 

[1] UNICEF, Rachel Hodgkin et Peter Newell, « Manuel d’application de la Convention relative aux droits de l’enfant ».

[2] Mission – axes thématiques 2016, disponibles ici

[3] Mohammed L’Houssni, « Parentalité et protection de l’enfance : élargir le cercle de l’enfant pour assurer sa sécurité et son bien-être », dans « Famille, parenté, parentalité et protection de l’enfance. Quelle parentalité partagée dans le placement ? ». ONED, septembre 2013, page 40. Disponible: ici

[4] Idem, page 43.

[5] Revue Perspectives n°5, disponible sous : documents-telechargements

[6] Idem