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« Du genre déviantes » : Politiques de placement et prise en charge éducative sexuées de la jeunesse « irrégulière » – une contribution d’Olivia Vernay

Olivia Vernay (assistante-doctorante FNS) présente ses recherches sur l’évolution des politiques de placement des mineur·es à Genève. À travers une étude de cas spécifique, l’auteure se penche sur la question du genre et des différences de traitement entre filles et garçons dans le domaine de l’éducation sociale. Une démarche historique bien intéressante qui a reçu le Prix Genre 2019 de l’Université de Genève.

Politiques de placement et prise en charge éducative sexuées de la jeunesse « irrégulière »

Dans cet ouvrage, je me penche sur les métamorphoses des politiques de placement des mineur·es à Genève entre 1960 et 1980 et leur analyse au prisme du genre, à travers une étude de cas spécifique : l’institution genevoise d’éducation de La Pommière. Celle-ci a toujours été réservée aux filles depuis sa création en 1821, et est encore en activité aujourd’hui. J’ai une double casquette : celle de chercheuse en histoire de l’éducation spécialisée et celle d’ancienne pensionnaire de La Pommière, ayant été placée dans cette institution lorsque j’étais adolescente.

Contexte de la recherche

Mon travail se base sur l’analyse de documents issus de plusieurs fonds (Office de la jeunesse, Fondation officielle de la jeunesse, La Pommière) et croise deux angles de recherche :

  • Le premier angle étudie la manière dont les institutions ont été traversées par l’évolution des politiques de placement, en lien avec les transformations sociales (Mai 68, intervention croissante de l’État dans le domaine de la protection de l’enfance, statut de l’enfant, école, famille).
  • Le deuxième angle s’intéresse à l’aspect genré des politiques de placement et leurs effets sur la prise en charge des adolescentes dites difficiles par rapport à leurs homologues masculins, en établissant une mise en perspective entre La Pommière, institution officiellement dévolue aux filles dites caractérielles depuis 1972, et le Centre de Chevrens, une institution genevoise accueillant depuis 1957 les garçons considérés comme les plus durs du canton.

Je m’intéresse notamment aux déterminations socio-historiques et à la marge de manœuvre dont disposent les acteurs et actrices face aux contraintes sociales, qu’il s’agisse des professionnel·les (direction d’institution, équipe éducative, etc.) ou des mineures placées. De quelle manière l’institution de La Pommière a-t-elle été traversée par l’évolution des politiques de placement et quelles ont été les effets de ces politiques sur la prise en charge institutionnelle des filles de La Pommière ?

La Pommière tributaires des nouvelles politiques publiques de protection de l’enfance

  • Les normes exigées par l’État (spécialisation des institutions, qualification du personnel éducatif) alliées aux restrictions budgétaires et aux critères de subventionnement de plus en plus nombreux et exigeants ont placé l’institution de La Pommière dans une situation inextricable.
  • Des tensions et des divergences sont apparues entre les différent.es actrices et acteurs institutionnelles (services placeurs, juges, médecins, comités, directions, équipes éducatives, etc.).

Une prise en charge sexuée de la jeunesse « irrégulière » :

  • Les représentations genrées de la délinquance (comportement, psychisme, sexualité) ont engendré une différence de prise en charge : « la délinquance des garçons perturbe la société ; les jeunes filles sont perturbées». L’État n’a pas développé les mêmes moyens à leur égard que pour les garçons (inertie des autorités due à l’absence d’un consentement politique).
  • À Genève, deux institutions sont créées pour les garçons qui bénéficient d’un programme de rééducation structuré afin de les réinsérer socialement et professionnellement. Aucune structure n’est créée pour les filles, les projets élaborés pour elles n’ont pas abouti, elles n’ont eu que peu de possibilités de réinsertion.
  • Les filles étaient catégorisées comme déviantes notamment en raison de leur inconduite sexuelle supposée, la libération de Mai 68 ne s’applique visiblement pas aux adolescentes. Cette catégorisation était quasi irréversible comparée aux garçons, auxquels était accordé l’espoir d’une évolution positive (déviance momentanée due à l’adolescence et non définitive).

Conclusion

De manière générale, il y avait une distribution inégale des ressources éducatives au sein de l’institution La Pommière : alors que l’objectif des politiques de protection de l’enfance pour les adolescents jugés déviants visait leur réinsertion sociale par le biais de l’éducation et de la formation, celui pour les filles était, au mieux, d’en faire de bonnes épouses et mères de famille. Cette réduction des possibles pour les filles en termes de trajectoire sociale a limité leurs possibilités d’émancipation et beaucoup ont été maintenues dans le circuit de l’assistance sociale.

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