Sélectionnez votre langue

EQUALS

À quelles évolutions liées à la pandémie faut-il s’attendre dans les institutions stationnaires de l’aide aux enfants et à la jeunesse ?

Contribution de la recherche EUQUALS
Par Nils Jenkel, Gabriele E. Rauser & Marc Schmid

 

Depuis la deuxième vague, les données EQUALS relatives à la charge psychique des enfants et adolescents accueillis dans ces institutions fournissent un tableau préoccupant, jamais observé auparavant.

Les auto-évaluations EQUALS reflètent depuis l’automne 2020 une nette augmentation de la charge psychique chez les enfants et adolescents arrivant en institution. Les valeurs de charge psychique dans les auto-évaluations dépassent désormais celles des hétéro-évaluations du personnel socio-éducatif. Un tel phénomène n’avait encore jamais été observé en plus de 15 années de recherches menées par la Clinique de pédopsychiatrie UPK de Bâle auprès des enfants et adolescents accueillis dans un cadre extrafamilial.

Introduction

Au cours du premier confinement, il était important pour Integras et l'équipe EQUALS de décrire de manière scientifique la situation des jeunes placés en institutions de la protection d'enfants et de jeunes. On pouvait craindre que les restrictions des contacts, souvent drastiques, aient des répercussions particulièrement importantes sur les jeunes accueillis dans les institutions socio-pédagogiques, dont la charge psychique est souvent considérable. Ces jeunes sont souvent restés pendant des semaines sans voir leurs parents et isolés dans leurs groupes d’hébergement, la structuration des journées qui leur était familière s’était en partie effondrée, et il est vraisemblable que certains étaient également très inquiets pour leurs familles. C’est la raison pour laquelle Integras et l’équipe d’EQUALS ont lancé l‘enquête « CorSJH ». Les résultats de l’enquête ont été cependant plutôt rassurants et confirmaient les retours que l’on avait de la pratique : grâce à l’engagement exceptionnel du personnels, les facteurs de stress spécifiques du premier confinement ont pu majoritairement être amortis pour les enfants et adolescents. Leur situation ne semblait pas pire – elle semblait même presque meilleure – que celle des enfants et adolescents du même âge qui étaient en dehors des institutions socio-éducatives (De Quervin et al. 2020, Ravens-Sieberer et al. 2021).

Mais comment la situation a-t-elle évolué par la suite et comment évolue-t-elle aujourd’hui ? Plus d’une année s’est écoulée depuis le premier confinement et notre quotidien est aujourd’hui encore marqué par le Coronavirus. Ceux qui avertissaient que les conséquences réelles de la situation –en particulier sur les groupes de population vulnérables– n’étaient que retardées et pourraient se faire sentir ensuite à long terme obtiendront-ils raison (par ex. Fegert/Vitiello/Plener/Clemens 2020, UNICEF 2020) ? Selon la Swiss Corona Stress Study, un nouvel accroissement des répercussions négatives sur le bien-être psychique de la population a pu être observé depuis la deuxième vague (De Quervin et al. 2020) et les experts de la protection de l’enfance restent inquiets (cf. par ex. Kinderschutzradar du canton de Zurich). Par ailleurs, de nombreuses institutions de l’aide aux enfants et à la jeunesse témoignent d’une augmentation des demandes de placement de jeunes gens issus de systèmes familiaux dont la situation est apparemment particulièrement difficile. Comme dans tous les systèmes de l’aide psychosociale, les listes d’attentes ne cessent de s’allonger ces derniers temps.

Integras et l’équipe d’EQUALS suivent par conséquent très attentivement les évolutions des données EQUALS relatives aux jeunes gens accueillis en institution. L’objectif étant également de compléter peu à peu les résultats de l’enquête CorSJH par de nouvelles analyses. La présente contribution cherche à savoir si les données reflètent des changements dans la charge psychique des jeunes gens qui ont été accueillis depuis le début de la pandémie dans les institutions de l’aide aux enfants et à la jeunesse. Les peurs et les symptômes dépressifs ont-ils augmenté ? Qu’en est-il des troubles externalisés, comme par exemple les comportements agressifs ? Comment le personnel socio-éducatif voit-il les choses ? Qu’en pensent les enfants et adolescents eux-mêmes ?

Méthode

Les analyses reposent sur les données de dix institutions en Suisse et de trois institutions en Allemagne qui ont été relevé ces dernières années de manière très régulière et continue des hétéro-évaluations et des auto-évaluations relatives à la charge psychique des enfants et adolescents accueillis. Elles utilisent, concrètement, la Child Behaviour Checklist (CBCL ; Döpfner et al. 1994) et le Youth Self Report (YSR ; Döpfner et al. 1994). Ces méthodes large bande de dépistage des symptômes psychiques chez les enfants et adolescents se sont établies à l’échelle internationale, dans la pratique comme dans la recherche. Les valeurs de la charge psychique résultant des enquêtes peuvent être résumées en trois grandes échelles de valeurs (valeur globale, troubles internalisés et troubles externalisés).

Pour analyser l’évolution de la charge psychique dans le temps, on a créé, selon les dates d’entrée en institution stationnaire, six groupes qui ont été suivis respectivement sur une période d’une demi-année et on les a comparés les uns aux autres. Le premier groupe était arrivé en institution entre le 15.03.2018 et le 14.09.2018, le dernier groupe entre le 14.09.2020 et le 15.03.2021. Pour permettre une comparaison directe entre hétéro-évaluation et auto-évaluation, les données analysées étaient celles qui intégraient des évaluations sous les deux perspectives. Cela a donné un échantillon de 408 enfants et adolescents de 12 à 17 ans (M=15.0, SD=1.3). Dans la mesure où davantage d’institutions pour jeunes filles utilisaient EQUALS avec la fréquence requise, les personnes de sexe féminin sont surreprésentées dans l’échantillon (77,9%)

Résultats

1. En vertu des hétéro-évaluations des personnels socio-éducatifs avec la CBCL, la charge psychique des enfants et adolescents est resté à un niveau constant au cours des dernières années, jusqu’au printemps 2021. Dans chaque groupe, on observait chez respectivement 80 % des enfants et adolescents des problèmes jugés significatifs du point de vue clinique. Ainsi, rien n’indiquait une diminution ou une augmentation de la charge perçue qui auraient été liées à la pandémie.

2. Les choses se présentent en revanche très différemment dans les auto-évaluations. Ici, la charge psychique augmenté en moyenne dans toutes les échelles principales, mais de manière significative seulement depuis l’automne 2020 Dans la valeur globale (F (5, 408) = 2.93, p = .013) ainsi que pour les troubles externalisés (F (5, 408) = 3.17, p = .008), les analyses de variance révèlent une augmentation tout à fait significative. Pour les troubles internalisés, l’augmentation est tendanciellement significative (F (5, 408) = 1.93, p = .089). Dans le dernier groupe (arrivé entre le 14.09.2020 et le 15.03.2021), 90% des enfants et adolescents mentionnaient des difficultés que l’on peut qualifier de significatives du point de vue clinique.

3. Enfin, la comparaison entre les auto-évaluations et les hétéro-évaluations laisse apparaître un tableau qui n’avait jamais été observé auparavant. Jusqu’alors en effet, la charge psychique perçue par les personnels socio-éducatifs –comme dans la plupart des études portant sur des groupes à haut risque (par ex. Handwerk/Larzelere/Soper/Friman 1999) – était toujours supérieure au niveau relevé dans les auto-évaluations (Schmid et al. 2013, Schmid/Erb/Fischer/Kind/Fegert 2017, Jenkel/Schmid 2018) ; telle situation a changé cependant depuis l’automne 2020. Pour la première fois, les valeurs moyennes enregistrées dans les enquêtes menées auprès des enfants et adolescents étaient supérieures aux valeurs relevées dans les enquêtes auprès du personnel socio-éducatif. Le phénomène est significatif sur le plan statistique dans chacune des trois échelles principales.

Que signifient ces résultats ?

On peut comprendre que les enfants et adolescents entrés plus récemment en institution mentionnent une charge psychique plus importante, d’une part, car la crise en elle-même constitue un facteur de stress multidimensionnel (Brakemeier 2020) ; d’autre part, parce que de nombreuses situations familiales problématiques se sont vraisemblablement aggravées avec la crise (Boserup et al., 2020, Brooks et al. 2020, Campbell, 2020, Plank 1999, Usher et al. 2020 ; OMS, 2020).

Il faudrait en revanche s’interroger de toute urgence sur le fait que cette évolution ne soit pas perçue pareillement par le personnel socio-éducatif et que celui-ci n’évalue pas, pour la première fois aujourd’hui, la charge psychique des enfants et adolescents qu’il encadre à un niveau inférieur. Sommes-nous soudainement arrivés à un point où nous sous-estimons considérablement l’état psychique des enfants et adolescents ? À quoi cela peut-il bien tenir ?

Integras et l’équipe d’EQUALS veulent examiner ce phénomène de manière approfondie et seraient heureux de pouvoir échanger avec vous sur ce thème –qui doit faire l’objet d’un séminaire en ligne, en planification.

Nos résultats résumés sous une forme visualisée sont disponibles sous www.equals.ch/factsheets. Le site offre également la possibilité de s’abonner au blog. Ceci pour rester informé sur les actualités EQUALS.

Sources

Visualisation des résultats

 

logo equals
logo integras